Herbarium

Quentin Dupuy, 2021

Mon travail à pour point de départ une sensibilité particulière pour les matériaux déclassés. Je me rends disponible à la surabondance des objets ignobles et à leur incessante prolifération périphérique.

Dans différents contextes, je prélève des choses qui s’accumulent en marge de l’activité principale, des résidus, des sous-produits.

Ce peut être dans un contexte géographique précis après un temps d’arpentage et de repérage, comme dans l’installation que j’ai réalisée à Athènes dans un ancien hôtel en déplaçant des boites de transport de poisson pour en faire un système de climatiseurs, ou encore dans un contexte institutionnel avec les papiers peints que j’ai réalisé en collectant les papiers jetés dans les bureaux du centre d’Art de la Villa Arson.

Dans la pratique d’atelier j’utilise aussi cette méthode d’investigation à l’échelle de ma propre activité. Je suis attentif aux traces et résidus que laissent autour de moi mes habitudes de consommation et qui font de moi un portait partiel. Les chewing-gums, les mégots, ou les tickets de caisses, après avoir été consommés sont ré-appropriés par de nouveaux gestes. Des remises en formes, en situation, qui s’inspirent de mon interêt pour le décoratif, l’ornement et la théorie économique.

Par ces méthodes j’emprunte à la conduite des personnes souffrant du syndrome de Diogéne leur empathie envers les choses les plus triviales et dévalorisées. Ce penchant qui les pousse à accumuler autour d’eux ce qui par d’autres est perçu comme du déchet. Il s’agit d’une posture écologique, non seulement au sens ordinaire du tri ou de la revalorisation des déchets mais surtout comme art d’observer des liens entre soi et les choses qui nous entourent, nous traversent, nous font et nous défont.

En dehors de cette pratique très au contact des choses matérielles, mon travail se nourrit aussi de recherches sur l’histoire des arts décoratifs et du design. Cela m’amène vers des formes à forte connotation fonctionnelle, automates, diffuseurs de parfums, papiers peints, fontaines. Ce registre de formes issu des arts appliqués témoigne d’une continuité entre l’objet et l’espace du Décorum qui m’intéresse particulièrement pour sa capacité à inscrire l’ordre symbolique et ses hiérarchies dans des objets d’apparence parfois frivole. En cherchant à investir cette notion de Décorum avec des matériologies singulières je cherche à retranscrire avec poésie et humour les écologies spécifiques aux différents contextes dans lesquels j’évolue.

“Quentin Dupuy est accompagné dans le cadre du programme Curriculum Chromé”

“Dans le cadre de Rouvrir le Monde, je souhaiterai poursuivre un projet de dessin qui se nomme Herbarium. Il s’agit d’un herbier que je réalise en chewing gum en m’inspirant de la technique du pastillage qui consiste à réaliser des ornements comestibles pour la patisserie. J’utilise le chewing gum comme matériau pour créer des modelages de plantes en bas relief avant de les coller sur du papier. J’ai débuté ce projet pendant mes études sous la forme d’interventions au chewing gum à même les murs des espaces d’exposition. Ce geste qui interroge les régimes de séparation à l’oeuvre dans l’espace et l’architecture m’a été inspiré par la lecture d’auteurs fondateurs de l’architecture moderne et hygiéniste comme Le Corbusier, Paul Schertbaart ou Claude Nicolas Ledoux. Cette version in situ du projet vient d’être présenté cette année à Marseille dans le cadre de l’exposition La Relève III-Habiter où j’ai déployé ces modelages à la galerie Art-Cade, au Chateau de Servières et à La Compagnie où l’on pouvait les découvrir aux pieds des cimaises dans les interstices de l’exposition.”

“Pour Rouvrir le Monde je voudrais travailler à de nouveaux modelages sur papier et essayer de nouveaux formats plus grands. Je souhaite explorer la spécificité du chewing-gum dans une direction plus picturale en m’éloignant de l’échelle naturaliste que je m’étais imposée jusqu’alors. J’imagine ce temps comme un moment d’experimentation et de libération du geste qui sera nourri de la présence et de l’intervention des publics.

Le travail réalisé avec les publics prendrait la forme d’une immersion partagée dans ce travail de recherche plastique : lors des ateliers les enfants ou adolescents seraient amenés à réaliser eux même des modelages en chewing gum. Nous travaillerons à partir de modèles comme des planches botaniques ou des végétaux collectés alentours et chercherions ensemble à exprimer et retranscrire la force et la délicatesse du végétal dans la matière élastique et capricieuse du chewing gum. Les modelages seraient ensuite documentés et numérisés pour être éventuellement utilisés dans un travail d’impression photo et de collage dans l’espace public.

J’ai tout récemment réalisé une partie de cet atelier avec des enfants de 10-12 ans dans un format de deux heures dans le cadre de la médiation de l’exposition à La Compagnie”