Discrétion volontaire. Pour une pratique élitiste de l'art

Samedi 19 octobre à 18h30

Jean-Baptiste Farkas, artiste.

Suivi d'un échange avec Éric Mangion, auteur, théoricien de l'art, ancien directeur de la Villa Arson et actuellement directeur du FRAC Occitane.
 


« Après tout, l’objet ne subsiste que par ses limites, c’est-à-dire par une sorte d’acte d’hostilité envers son entourage ; sans le pape, il n’y eût pas eu Luther, et sans les païens point de pape ; c'est pourquoi on ne peut nier que l’homme n’affirme jamais aussi résolument son semblable qu’en le refusant¹. »

L’artiste doit s’inventer des façons d’échapper au régime de la visibilité imposé par le contexte de l’Industrie Culturelle. Au sein de sa pratique, il doit ménager une part d’ombre dont l’extrémité est une forme d’élitisme. Dans une époque qui lui demande d’apparaître toujours davantage, contre la bonne morale, défendons la notion de « pratique élitiste de l’art ». Cet alliage de mots a été choisi moins pour son exactitude (toute relative) que pour ce à quoi il renvoie insidieusement, à savoir une objection au projet d’un « art pour tous » aujourd'hui plus que jamais embarrassant. Il n’y a, semble-t-il, qu’un élitisme authentiquement nocif, celui d'ordre financier, qui nous empêcherait d’accéder à telle ou telle sphère de la société pour tenter d’y mener une action, et clairement, cela n’est pas ce qui est évoqué ici. Élitisme, donc, non pas comme perspective de « favoriser les meilleurs », mais comme pure opposition au projet d’un « art pour tous ». Élitisme, non dans le sens de la constitution d’une faction d’artistes qui serait supérieure aux autres, mais comme prise de distance violente vis-à-vis de ce que l’artiste œuvrant sous l'égide de l’Industrie Culturelle est en devoir d’offrir à son public. Élitisme comme choix : celui de la discrétion volontaire.

Une « pratique élitiste de l'art » est peut-être le pire scénario imaginable. De notre point de vue, il est toutefois préférable à celui qui fait naître chaque jour des œuvres d’art blafardes tellement machinées par le souci pathologique de s’adresser au plus grand nombre qu’elles échouent à attirer durablement l’attention de qui que ce soi.

¹Robert Musil, L’Homme sans qualités, trad. P. Jaccottet, Seuil, Paris, 2004, t. 1, p. 53.

Jean-Baptiste Farkas

Jean-Baptiste Farkas dit IKHÉA©SERVICES (1998), Glitch, Beaucoup plus de moins ! (2003), PRACTICES IN REMOVE (2015), L'art et ses logiques soustractives (2018), Les Chroniques de la soustraction (2019) se définit comme un artiste prestataire de services. Il a conçu sous divers intitulés organisés en collection, « des modes d'emplois » qui entretiennent un rapport étroit au trouble, au vandalisme, au détournement pour générer une action dans le réel. Inscrits dans une logique non productiviste, voire très fortement soustractive, ces « passages à l'acte » se confrontent à la question de la valeur en art, en éprouvant souvent le spectateur par une tendance latente à la destruction, la contrainte ou la frustration tout en conservant une pointe d'humour

Semaine de la Pop Philosphie

Cette semaine sera l’occasion de réfléchir, avec des personnalités du monde intellectuel et politique, sur la notion d’« Art pour tous » et le rôle du monde de la culture en terme d'émancipation des publics afin d'imaginer d’autres possibles. Sortir de l’illusion et de la croyance au profit d’une réflexion éclairée, partant des réussites mais aussi des échecs engendrés par ce beau rêve est tout l’enjeu de cette XVIème édition. 

« L'Art pour tous » serait-il devenu un slogan vide de sens, une assertion dans laquelle le peuple ne se retrouverait pas et qui dénoterait même involontairement un certain mépris à son égard ?

Jacques Serrano, concepteur de cette manifestation, porte un regard étonné sur ces missionnaires de la culture pleins de bonne volonté et de bons sentiments qui ne cessent, depuis des décennies, d'entretenir l'idée que le spectateur a besoin d'eux pour l'aider à ouvrir les yeux sur le monde, délaissant parfois la création au profit de la fréquentation. 

Comme le rappelle le philosophe Christian Ruby, empruntant les mots du metteur en scène Peter Brook, « Toutes ces formes de racolage […] jouent dangereusement sur cette même affirmation : venez partager avec nous notre art de vivre, qui est bon puisqu’il est fait de ce qu’il y a de meilleur » (Espace Vide, 1968).

www.semainedelapopphilosophie.fr/saison-xvi-2024